Editorial du PV 136
Article mis en ligne le 10 novembre 2018
dernière modification le 29 septembre 2020

par Gilles WAEHREN

Techniciens des mathématiques

Les projets de programmes de mathématiques de Seconde, Première(spécialité) et Premièretechnologique viennent de sortir. S’il y a consultation, on peut penser que les modifications ne se feront qu’à la marge. Pourtant, les changements annoncés sont de taille. Sur la forme, le tableau en trois colonnes a été abandonné au profit d’un déroulé plus linéaire intégrant notions, preuves, algorithmes, histoire des maths ; à l’image du style ministériel : moderne sur la forme, conservateur sur le fond. Je parlerai surtout du nouveau programme de Seconde ; celui de Première n’ayant pas son pendant de Terminale (contrairement à ce qu’avait demandé l’APMEP), il sera plus difficile à mettre en perspective. Le travail qui sera fait en Seconde par le professeur de mathématiques aura un impact conséquent sur la poursuite des élèves dans cet enseignement. Et la chose ne sera pas aisée pour les collègues (dont je fais partie) ! Pourtant, les sciences n’occupant plus qu’une portion congrue du tronc commun de Première, il est vital que tous les élèves prennent les mathématiques en enseignement de spécialité. Y arrivera-t-on sans le module de réconciliation préconisé dans le rapport ? Les élèves choisiront-ils une première technologique, plus visible et plus lisible ?

J’en ai profité pour lire de façon plus complète le rapport Villani-Torrossian afin de repérer les recommandations qui avaient été effectivement prises en compte dans l’élaboration des programmes. Ce rapport pointait essentiellement les ratés de l’enseignement des mathématiques depuis la Préhistoire, mais ne parlait pas des réussites (dues aux prédécesseurs de notre actuel ministre). On peut se demander pendant combien de temps les réformes de l’Éducation Nationale se feront en brûlant tout ce qui a été construit auparavant et en cherchant à réinventer le feu tous les dix ans. Quelle évaluation objective a-t-on des anciens programmes ? Je n’ai pas vu la commission de suivi des programmes (demandée par
l’APMEP) dans les personnalités invités par la mission : cela se sent.

On voit dans les nouveaux programmes de Première et de Seconde des notions dont l’intérêt se limite à l’utilisation qui en sera faite par la suite (algorithme sur la puissance d’un nombre ou produit scalaire). Cette stratégie d’aspiration vers le haut semble être là pour satisfaire les besoins de certains enseignants du supérieur (classes prépas ?) en terme de technicité mathématique. Le Secondaire doit-il faire le SAV (Service Avant Vente) du post-bac ? Est-on sûr de redonner le goût des mathématiques ainsi, en revenant à un certain âge d’or de leur enseignement ? Le programme de Première, censé être un programme pour tous, apparaît déjà comme un programme pour les meilleurs (fonction exponentielle). Où est la place de la différenciation ? Elle faisait pourtant partie des demandes.

Ces dernières années, le calcul littéral a été progressivement relégué au Lycée et on observe aujourd’hui l’apparition d’un nouveau thème « Nombre et calcul », intéressant en soi, mais qui masque mal une grande manœuvre de remédiation de ce qui n’a pas été acquis jusque là, sous prétexte qu’il y en a besoin après le baccalauréat, qu’il y en a besoin en Sciences Physiques, en Sciences Économiques, etc. Je l’avais évoqué dans un précédent éditorial : tous les professeurs qui utilisent le calcul en cours ont une responsabilité dans son apprentissage, pas seulement le professeur de Seconde et je pense qu’il est un peu tard pour donner le goût du calcul à des jeunes de 15 ans, en proposant des activités ludo-éducatives avec des pingouins qui effectuent des additions. Les automatismes de calcul doivent être entretenus, améliorés, perfectionnés, mais ne peuvent pas être une fin en soi en raison d’une « obligation de résultat ». Si les élèves fonctionnent comme des machines, alors ils seront remplacés, dans leur vie professionnelle, par des machines. Les opérations n’ont pas de sens pour elles-même en dehors d’un contexte de problème : on n’apprend pas ce qu’est la musique en faisant uniquement des gammes. L’aspect esthétique de l’art du calcul, revendiqué par Villani, n’est pas une évidence pour tous et un beau calcul n’est pas toujours un calcul facile à comprendre. Des neuroscientifiques ont contribué à la construction de ce nouveau programme ; quelle connaissance des mathématiques ont ces scientifiques ? Quelle connaissance de l’enseignement ? Trop de neurosciences tuent-elles les sciences ? Quelle est la place de l’affectif dans un programme aussi aride et qui laisse si peu de place à l’autonomie de l’élève, à l’autonomie de l’enseignant ?

Ce programme de Seconde donne une forte impression de décousu en raison de ces notions juxtaposées de façon surréaliste, comme dans un inventaire à la Prévert. Proposer un cours structuré, des preuves consistantes, des algorithmes constructifs, se révèle être un défi que tous ne sauront pas relever. Je pense ici aux contractuels ou aux néo-titulaires qui seraient tentés de prendre ce programme au pied de la lettre. C’est là (demande du rapport) qu’une stratégie de l’équipe de mathématiques de chaque lycée va devoir être mise
en œuvre. Nous avons le pouvoir de rendre ce programme captivant
malgré tout : à nous de combler les vides béants ! Ce n’est pas le niveau des élèves qui baissent, c’est celui des programmes.

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