Edito 150 : Arithmophobie
Article mis en ligne le 23 juin 2022

par Gilles WAEHREN

Arithmophobie

Les récentes élections ont été une nouvelle occasion pour une débauche de « chiffres » - puisque la synecdoque s’est imposée dans le langage courant. Les commentaires qui les accompagnent, à plus ou moins bon escient, dénotent souvent un malaise chez ceux qui les énoncent. Quelques infographies malheureuses, produites par des médias renommés, ont déferlé sur les réseaux sociaux avant que le mal n’ait pu être corrigé. La défiance semble grandir au fur et à mesure des années vis-à-vis des données numériques. Peut-être leur attribue-t-on un pouvoir qu’elles n’ont pas. Elles servent à ceux qui savent les manipuler pour en imposer à leurs interlocuteurs. Elles représentent, pour certains qui les reçoivent, des concepts abstraits enfouis dans les recoins de traumatismes, scolaires ou autres.

L’enseignant de mathématiques a conscience des méfaits de contenus théoriques vides de sens. Une valeur isolée n’a souvent aucun intérêt ; sauf pour l’amateur de numérologie qui saura y voir des interprétations ésotériques. La maîtrise du calcul est un élément central de notre travail quotidien, mais nous devons être vigilant à la raccrocher, quand c’est possible, à ce qu’elle peut vraiment nous apporter. L’ordinateur est plus rapide et plus fiable dans ce travail calculatoire, mais il ne comprend pas ce qu’il fait. Gardons-nous de former des automates ! Plus que jamais, le calcul astucieux peut mettre en évidence notre supériorité sur la machine. L’analyse d’un énoncé pour formuler un calcul, l’interprétation d’un résultat pour construire un raisonnement sont loin d’avoir fait leur preuve dans les meilleurs algorithmes d’intelligence artificielle.

Le bilan que l’on peut aussi tirer des dernières élections est la place prépondérante qu’occupe l’école de la République dans la formation des citoyens. Celui qui est mal informé, qui ne peut pas exercer son esprit critique, celui que les sophistes veulent manipuler, est mal équipé pour voter en son âme et conscience. Le professeur de mathématiques peut aussi apporter sa pierre à cet édifice civique. Encore faut-il qu’il en ait les moyens. Ces deux dernières années, les programmes de mathématiques (mais ce ne sont pas les seuls) n’ont jamais semblé aussi difficiles à terminer. Pour y parvenir en Terminale, il a souvent fallu sacrifier le sens à la technique. Le temps de l’apprentissage doit, plus que jamais, être remis au centre des discussions sur l’éducation. C’est l’un des principaux levier pour installer une vraie équité – bien mieux qu’une égalité technocratique. Ce temps doit être pensé dans le cursus de l’élève, afin de le sortir des tiroirs des niveaux d’enseignement, mais aussi pour la place qu’on lui accorde. La norme est toujours plus intrusive : CP à 6 ans, Sixième à 11 ans et bac à 18 ans. Trop d’élèves ne peuvent pas se calquer sur ce triptyque. Trop d’élèves ont besoin d’un temps individualisé que notre système ne parvient pas à leur offrir : quid de la co-intervention ? Deux enseignants par cours, ça se fait déjà, mais il faudrait en recruter davantage pour le généraliser, et ce dès l’arrivée à l’école.

Chaque professeur attend avec impatience de dégel du point d’indice, mais cette mesure, certes importante, rendra-t-elle notre système plus équitable ?

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